vendredi 22 septembre 2006

Le Scrapbook

Le « Scrapbook » d'Henri Cartier-BressonFondation HCB, 21 septembre-23 décembre 2006
Autoportrait, Italie, 1932, ci-contre.


André-Pierre de Mandiargues et Henri Cartier-Bresson se connaissent depuis l'enfance. André-Pierre de Mandiargues vit avec une jeune italienne, Léonor Fini. Ils partent tous les trois à la découverte de l'Europe dans une Buick d'occasion. En Italie c'est l'apprentissage de la liberté, la photographie sans but, enregistrer les moments de grâce, à la sauvette. 
  Cet autoportrait, sans visage, d'Henri Cartier-Bresson, extrait d'une série assez étonnante et un peu moins connue que d'autres séries de photographies de l'artiste  est un bel exemple de la grande liberté qui a été la sienne à cette époque de sa vie : 1932. 1932 c'est également la date initiale de  l'album intitulé "Scrapbook" qui fait l'objet de la présente exposition à la Fondation HCB et qui couvre une période allant jusqu'en 1946.
Cet ensemble, constitué de tirages inédits de HCB a une histoire très particulière :
En 1943, Nancy et Beaumont Newhall du Museum of Modern Art de New York (MoMA), pensant qu'Henri Cartier-Bresson avait disparu pendant la guerre, préparaient une exposition « posthume » de son travail. Cartier-Bresson, qui s'était évadé et avait obtenu de faux papiers, apprit cette nouvelle avec plaisir en 1945.
Il entreprit alors un bilan de son oeuvre préparatoire à l'exposition. En 1946, il tira à Paris 346 épreuves, qu'il colla à son arrivée à New York dans un album, le Scrapbook (du mot « scrap » : bout, bribe, rebut, album généralement destiné à accumuler des souvenirs), avant de les montrer au MoMA. La plupart de ces photographies étaient inédites à l'époque ; beaucoup sont devenues emblématiques aujourd'hui.
Alicante, 1933
© Henri Cartier-Bresson / Magnum  
page reconstituée du "scrapbook"
© Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
page originale du "scrapbook" consacrée à Matisse
© Henri Cartier-Bresson / Magnum

La sélection de Cartier-Bresson rassemble donc des images réalisées entre 1932 et 1946, notamment à Marseille (où il acquiert son premier Leica) et à Paris ; puis l’Italie, l’Espagne, le Mexique, les années du Front Populaire, le couronnement du roi George VI à Londres, le retour des prisonniers de guerre en Allemagne,… Dans cette sélection, on retrouve également les fameux portraits de peintres français (Matisse, Braque, Bonnard, …) ou d’écrivains (Claudel, Sartre, Eluard, …) réalisés pour l’éditeur Braun et pour diverses publications de l’époque. Cette première phase de l’oeuvre de Cartier-Bresson est révélatrice des mouvements visuels qui l’influençaient alors : le surréalisme, qu’il affectionnait particulièrement dans les années 1930, puis le cinéma, qu’il avait étudié en 1935 avec Paul Strand aux Etats Unis, avant de travailler sur les films de Jean Renoir entre 1936 et 1939.
 Bruxelles, 1932
© Henri Cartier-Bresson / Magnum Photos
Interrogatoire, Allemagne, 1945 © Henri Cartier-Bresson / Magnum Intérieur de l'exposition.photographie de l'auteur

   En regardant cet ensemble, nous pressentons qu'Henri Cartier-Bresson était animé du désir d'élire la vie comme valeur suprême. Avec les années trente une période de troubles profonds s'annonçait et il était sans doute nécessaire pour lui de recentrer son activité créatrice sur une donnée fondamentale liée à la vie au quotidien incarnée par cette multitude d'individus, cette galerie de portraits dans toute leur diversité. La série des photographies qu'il fait à Londres en 1938 à l'occasion du couronnement du roi Georges VI est tout à fait emblématique de cet état d'esprit : Cartier-Bresson va montrer des gens qui regardent sans montrer ce qu'ils regardent. C'est l'activité de ces regards multipliés et des stratagèmes inventés par ces regardeurs occasionnels qui va faire l'objet de sa série, présentée ici, et qui décline pour l'occasion une suite de tirages quelquefois inconnus donnant du sens à ceux, plus célèbres, devenus quasiment des icônes. Un des avantages de cette présentation est de recontextualiser les photographies "vedettes" de Cartier-Bresson dans un ensemble en leur restituant du même coup leur dimension profondément humaine et quotidienne.

 La Fondation HCB a habitué ses visiteurs à admirer des expositions de qualité et celle-ci ne déroge pas à la règle. Nous avons affaire à un travail d'exposition très bien pensé, rigoureux et passionnant dans la découvete progressive que l'on fait du parcours du photographe. La muséographie est à la fois discrète claire et élégante, à l'image du bâtiment de la Fondation. Le travail de restauration des tirages et de la mise en scène des photographies relèvent d'une démarche  scientifique où l'exigence et la rigueur président.
Outre ces photographies du Scrapbook tirées par Cartier-Bresson lui-même, l'exposition montre quelques tirages originaux présentés au MoMa en 1946.
   Henri Cartier-Bresson fut, avec quelques autres,  le fondateur de l'Agence Magnum en 1947. En 1980, il déclarait à Hervé Guibert : " J'allais à la recherche de la photo pour elle-même, un peu comme on fait un poème. Avec Magnum est née la nécessité de raconter des histoires".
  Le "petit appareil", comme l'appelait Henri Cartier-Bresson, représente bien "l'instrument parfait pour l'exercice du regard sur la vie" écrivait Jean-Pierre Montier dans le livre qu'il consacrait au photographe en 1995. Cet exercice du regard sur la vie à la fois profond, tendre, intelligent, rigoureux ou parfois amusé, est bien à l'oeuvre dans cette exposition du Scrapbook présentée actuellement à la Fondation HCB à Paris.

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