samedi 11 novembre 2006

Robert RAUSCHENBERG 4.

Combines


 Depuis le 11 octobre 2006, le Centre Georges Pompidou présente une exposition ne mettant en scène que des «Combine paintings» réalisés par l'artiste, principalement  entre 1954 et 1961. Le tout est de savoir ce que l'on nomme «Combine paintings» : s'agit-il d'arrangements ? Est-ce que l'on a affaire à des oeuvres qui sont constituées de matières  et d'objets  hétéroclites  habilement organisés? C'est, de toute évidence,  beaucoup plus que ça.
 Le terme est délicat à  traduire,  ce qui montre, d'une certaine manière, le pouvoir de création de Rauschenberg qui est quelqu'un qui est un inventeur de formes.

 A l'origine des Combines, on peut identifier un faisceau de raisons, de circonstances, de rencontres (celles  avec John Cage ou Merce Cunningham qui seront déterminantes), de motivations personnelles, de jeu, de conceptions face à ce que devrait être une «oeuvre» (le Combine de Rauschenberg est, par exemple, une concrétisation plastique très spectaculaire de la Theory of inclusion de John Cage, fondée sur le principe de simultanéité sonore), de surenchères successives dans un contexte de créativité débridée ( le passage au Black Mountain College, évoqué dans le billet précédent), d'amitié (avec le peintre Cy Twombly avec qui il partira en voyage vers l'Europe et l'Afrique du Nord et avec qui il exposera en 1953 à New York, à son retour aux États-Unis), et beaucoup d'autres choses, encore.
En 1953-1954, juste après ce retour aux États-Unis, Rauschenberg qui travaillait sur une série , les «Red Paintings»,  va présenter une oeuvre, en filiation directe avec cette série et qu'il va appeler Charlene.  Cet objet qui n'est ni une peinture, ni une sculpture sera considéré comme l'un de ses premiers Combines, en tout cas, un des plus significatifs des débuts.

 R. Rauschenberg va donner un entretien à André Parinaud en 1961 ;  Parinaud lui pose cette question :
- « Comment appelez-vous ce que vous faites ? » 
- « Combine painting, c'est-à-dire oeuvres combinées, combinaisons. Je veux ainsi éviter les catégories. Si j'avais appelé peintures ce que je fais, on m'aurait dit que c'était des sculptures et si j'avais appelé cela des sculptures, on m'aurait dit qu'il s'agissait de bas-reliefs ou de peintures. » (1) lui répond celui qui va, trois ans plus tard, décrocher le premier prix de peinture de la Biennale de Venise.

 Mais les choses, on s’en doute, sont bien plus compliquées que ça : un des Combines intitulé «Minutiae» et  présenté dans l’actuelle exposition a eu une fonction particulière. Rauschenberg va être invité par Merce Cunnigham à  fabriquer un décor de scène pour sa chorégraphie Minutiae. L’oeuvre que nous voyons dans l’exposition sera, en 1954, intégrée à cette chorégraphie de Cunnigham où l’on verra les danseurs la traverser, se déplacer à l’intérieur, et de ce fait elle prendra une dimension qui ira bien au delà d’un objet que l’on admire dans une salle de musée. La dimension performative de l’objet devra être intégrée dans sa définition.

Enfin, il serait intéressant de relever une dernière donnée relative à l’origine des Combines. En 1952, Pollock va abandonner le dripping : d’immenses toiles étaient posées au sol et le peintre dansait littéralement autour et à l’intérieur de sa peinture, l’éclaboussant de giclures qui s’organisaient en un entrelas complexe d’arabesques ; le geste et le mouvement du corps étaient des parties intégrantes de l’oeuvre (voir, notamment, les films du photographe Hans Namuth qui a suivi Jackson Pollock). C’est ce qu’on appellera l’Action Painting. Ce geste devait être fondateur pour la peinture américaine et la peinture en général. Or, il prenait fin. C’est Rauschenberg qui, très brillamment,  va réactiver cette dimension du geste expressif dans le cadre d’une oeuvre d’art ; et ce sera l’avènement des Combines.

Et Rauschenberg va emprunter ce terme de «Combine» au vocabulaire utilisé dans le domaine de l’agriculture mécanisée.  Oui, l'agriculture mécanisée... En effet, à cette époque, en 1955, ce que les Américains appellent «combine», c’est la moissonneuse-batteuse, une sorte de machine extravertie qui a plusieurs fonctions. Nous voici dans du lourd, du quotidien...

Rauschenberg voulait rassembler l’art et la vie. C’est fait ? Sans doute.


A demain, peut-être...
1. in  Robert Rauschenberg, oeuvres de 1949 à 1968, catalogue de l'exposition rétrospective présentée à Paris, musée d'Art moderne de la ville de Paris, Section ARC, 1968
illustrations : Robert Rauschenberg combines, catalogue de l'exposition du centre Georges Pompidou Éditions française, 2006 ©MOCA/Éditions du centre Pompidou :
-Pilgrim, 1960, p 139
-Charlene, 1954, p 35
-Minutiae, 1954, p29
-Coca-Cola plan, 1958, p95

Le catalogue est superbe, d'une très belle impression. Il présente des pièces qui ne sont pas présentées à Paris.

Les «Combines» (prononcer : kommb(aye)n'sss) : rien à voir avec les combines (le i de «pipi»). Une combine, c'est un truc un peu malin dont on va être fier (on fait le malin en racontant sa combine) ou alors un truc dont on se vante pas (type : combine foireuse). T'auras compris lecteur que ça n'a rien à voir, mais rienavoirdutout avec le bricolage de Bob qui lui était un type marrant, roublard qui s'est foutu de la gueule de pas mal de monde, notamment des papys de l'époque et des peintres morts ou presque morts qu'il a remplacés, du type Jackson Pollock ou Barnett Newman, for instance... Ca l'a propulsé directos dans la deuxième partie du XXème siècle à l'aide de ses bouteilles de Coca qui s'envolent vers...Andy Warhol, le Pop art et toute la bimbeloterie publicitaire qui réjouira tant l'Amérique d'abord, puis le monde entier, ensuite !
Un grand bonhomme, ce Bob...
Rauschenberg, je t'aime !
Le Centre Georges Pompidou présente actuellement une exposition qui met en scène des «combine paintings» réalisés par l'artiste, principalement  entre 1954 et 1961.
liens Robert Rauschenberg :

* l'exposition au Centre Georges Pompidou
* petite biographie Wikipedia
* l'exposition du MAMAC de Nice de juin 2005
* galerie d'oeuvres présentées au MAMAC en juin 2005
* article
de Philippe Dagen du Monde du 18 octobre 2006
* article de Judith Benhamou-Huet, Les Échos du 8 novembre 06
* article d'Olivier Cena, Télérama du 07 octobre 2006
* desordre.net : image Rauschenberg...
* petit diaporama de l'Express, 23 octobre 2006
* galerie de Combines au Metmuseum
* autour de Odalisque, un petit texte du CNDP
* insecula, quelques oeuvres de
Rauschenberg

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