samedi 23 décembre 2006

Gradiva 3.

Gradiva
dépeindre

Transports et déplacements.        Motions et émotions.
Celle qui se meut me meut, celle qui se meut m’émeut.
Elle marche si joliment et les 1800 années qui me séparent de l’objet de mon désir m’envahissent de chagrin et de désespoir. Fétichisme ? Fantasme simple ? La construction est d'évidence compliquée.  

Ce qui relève de l’évidence c’est la manière complètement fantasmatique que cet archéologue va adopter en projetant un désir intime dans un passé excessivement lointain et, d’une certaine manière, exotique, pour mieux lui donner vie et vigueur dans le présent comme si ce désir se trouvait régénéré par ce long détour.  Passer par le deuil pour une meilleure renaissance. La mort de Gradiva favorisera et engendrera la vie de Zoé*.

 Walter Benjamin** va utiliser un procédé similaire en remontant au suicide de la jeune femme afin de mieux considérer l’image qu’il a devant les yeux au moment où il en parle.
Il s’agit de «tuer d’abord pour mieux ressusciter» comme l’écrit André Gunthert (ibid. p 121).

 Un autre exemple fameux concerne un passage du célèbre ouvrage de Roland Barthes, La Chambre Claire. Cet ouvrage, on le sait, a pour objet la photographie et Roland Barthes va y développer notamment une démonstration dite du «noème», plus connue sous l’appellation du «çà a été». Barthes va se servir ici d’une figure qui ressemble aux deux précédentes.
Ce texte a été écrit immédiatement après la mort de sa mère. Ce contexte affectif sera déterminant  et donc la dimension autobiographique jouera un rôle essentiel dans sa réflexion. Etrangement, la forme qu’il donnera à son style, au moment où il évoque la recherche de la photographie idoine  de sa mère, s’écartera des usages de l'écriture utilisée pour les textes théoriques pour adopter un style narratif plus direct. Il ne trouve pas cette image qui représenterait, pour lui, le mieux sa mère et finit par s’arrêter sur une photographie étonnante d’une petite fille qui a été sa mère. Et cette photographie restera pour nous définitivement invisible. Il s'agit de la deuxième partie du livre, celle qui va relancer sa réflexion sur un mode autobiographique. Trouver cette photographie de sa mère enfant serait une sorte de pendant de l’apparition d’une Gradiva surgissant devant son auteur.

Nous sommes confrontés à un travail de deuil. Dans les deux cas ? L’un et l’autre renoncent à un objet d’amour.
On ne verra vraisemblablement jamais cette photographie dite du «Jardin d’hiver” représentant la mère de Roland Barthes. Elle devient une photographie virtuelle parmi les plus célèbres.
A la place, dans son livre La Chambre Claire, Roland Barthes fait figurer une photographie de substitution signée Nadar et légendée par Barthes lui-même : Nadar : mère ou femme de l’artiste.

Oedipe, quand tu nous tiens…

* Il se trouve que zoé, c'est la vie, en grec...
** texte évoqué dans l'article d'hier
Cette analyse est fondée sur la lecture d'un texte très intéressant d'André GUNTHERT : Le complexe de Gradiva, Théorie de la photographie, deuil et résurrection,  qui fait partie du N°2 de la revue Études photographiques, mai 1997.
liens :

- texte de Sigmund Freud, Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen
- La Chambre Claire,
Roland Barthes, Seuil, 1980

illustrations :
La Chambre Claire, Roland Barthes, Gallimard, 1980, p108

Commentaires

J'ai tappé un extrait du texte de Barthes sur mon blog histoire de le mette en libre accès, j'avais titré: conjointe recherche de la mère et de l'image. (>lespasperdus)
Au passage se souvenir qu'ikon est un verbe...Voir n'est pas un passif, le fait que le voir soit une visée sans fin nous renvoie également à la notion de désir lequel s'il s'assouvi, se perd... Voir par les yeux ou en pensée, c'est désirer. En effet tout à la fois une visée et, par ce que Barthes met en évidence du décalage de la perception, un deuil.
Commentaire n°1 posté par pop corn le 23/12/2006 à 13h54
Tu peux me donner le lien exact de ton article ?
Commentaire n°2 posté par espace-holbein le 23/12/2006 à 17h19
http://lespasperdus.blogspot.com/2006/08/conjointe-recherche-de-la-mre-et-de.html
Commentaire n°3 posté par pop corn le 23/12/2006 à 21h26
J'ai lu. J'ai vu... Dans le texte recopié, le onzième mot de la première phrase est le mot «mort» et le quatorzième le mot «mère».
«Conjointe recherche de la mère et de l’image.»
La mort les rassemble (je viens d'écrire «les ressemble», avant remplacement du e par le a). L'image a voir avec la mort, évidemment. Et ce n'est pas un hasard si Barthes a décidé de parler de photographie au moment de la mort de sa mère.
Roland Barthes va mourir très rapidement après avoir écrit ce texte.
Dans le texte auquel je fais référence, André GUNTHERT écrit :
 « Alors que le décès accidentel de son auteur, survenu peu de temps après la parution de la Chambre claire, conférait brusquement à cet essai un aspect testamentaire, nombreux sont ceux qui ont adopté sans discussion l'hypothèse de lecture selon laquelle Barthes aurait, au fond, écrit sur la photographie pour faire le deuil de sa mère. Sans remettre en cause ce que cette hypothèse a de fondé, ce serait néanmoins faire insulte à la subtilité intellectuelle du sémiologue que de ne pas examiner la proposition inverse : celle qui voudrait que Barthes ait pu, aussi,  se servir de la mort de sa mère pour parler de la photographie.»
p 122
Commentaire n°4 posté par espace-holbein le 24/12/2006 à 18h23

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