dimanche 16 septembre 2007

Francisco Goya-Marcel Duchamp

Tuti li mundi 
goya-tutilimundi-200.jpg

   
Sur une vieille porte de grange en bois encadrée de montants en briques, deux orifices à hauteur d'homme permettent de découvrir un extraordinaire spectacle : une femme nue, la tête cachée, gît, renversée sur des branchages. Ses cuisses, largement écartées montrent un sexe glabre et tumescent d'androgyne ; elle tient à bout de bras un bec Auer éclairé électriquement. Derrière elle, un paysage photographique (suisse ?) retouché, comportant une chute d'eau actionnée par un moteur, est baignée d'une lumière irréelle.*
                             
Description de Etant Donnés: 1. La chute d'eau, 2. Le gaz d'éclairage. de Marcel Duchamp
1946-1966 Philadelphia Muséum of art
   
Tuti li mundi de Goya / Étant donnés, de Marcel Duchamp. Deux machines à voir. Ou plutôt, deux machines à regarder. Deux effractions du regard. Un transit intestinal du regard chez Goya qui fait du regardeur regardé une machine de vision, un cloaca-obscura. Ce Tuti li mundi c'est le Mondo Novo, le cosmorama portatif traîné de village en village, l'appareil merveilleux qui enchantait les foules : on approchait son œil du trou et on y voyait des formes colorées qui bougeaient et faisaient rêver et rire (sans doute).
Dans Étant donnés, de Marcel Duchamp, l'acte est complexe, radical, et tend à provoquer le malaise. Le corps abandonné et nu est associé à la mort, à une sexualité par effraction, elle-aussi. Le regard est l'acteur de cette effraction ; la mise en scène nous renvoie à notre rôle définitif de voyeur. Ne s'agit-il pas de cette situation, toujours la même, dans laquelle nous nous trouvons lorsque l'on regarde n'importe quelle œuvre d'art ?
   
   
illustration : "Tuti li mundi", Album C, folio 71 - Francisco Goya in catalogue de l'exposition "Dibujos españoles en la Hispanic Society of America", Barcelone, 2007,  p.257

*Pierre Cabanne, Duchamp & Cie, Éditions Pierre Terrail, 1997, p  172