mercredi 29 juin 2011

Déjà la Chimère ennuyait les gens

  Chimères
moreau chimere 500  
   
   
La Chimère
 
La première mention de la Chimère apparaît au livre VI de l’Iliade. Là il est écrit qu’elle était de filiation divine et qu’elle avait le devant d’un lion, le milieu d’une chèvre et l’arrière-train d’un serpent ; elle jetait du feu par la bouche et elle fut tuée par le beau Bllérophon, fils de Glaucos, comme l’avaient présagé les dieux. Tête de lion, ventre de chèvre et queue de serpent, est l’explication la plus naturelle que suggèrent les paroles d’Homère, mais la Théogonie d’Hésiode la décrit avec trois têtes, et elle est figurée ainsi dans le fameux bronze d’Arezzo, qui date du Ve siècle. À la moitié du dos se trouve la tête de chèvre, à une extrémité celle du serpent, à l’autre cele du lion.
 Dans le sixième livre de l’Énéide réapparaît «la Chimère armée de flammes» ; le commentateur Servius Honoratus observa que, selon toutes les autorités, le monstre était originaire de Lycie et qu’en cette région il y avait un volcan qui porte son nom. Le pied en est infesté de serpents, ses versants sont couverts de prairies et de chèvres, son sommet vomit des flammes et des lions y ont leur repaire ; la Chimère serait une métaphore de ce curieux  ensemble. Auparavant, Plutarque avait suggéré que Chimère était le nom d’un capitaine aux penchants de pirate, qui avait fait peindre sur son bateau un lion, une chèvre et une couleuvre.

 Ces absurdes conjectures prouvent que déjà la Chimère ennuyait les gens. Plutôt que de l’imaginer il valait mieux la traduire en n’importe quoi d’autre. Elle était trop hétérogène ; le lion, la chèvre et le serpent (dans certains textes, le dragon) répugnaient à former un seul animal. Peu à peu, la Chimère tend à être «le chimérique» ; une célèbre plaisanterie de Rabelais («Si une chimère, vacillant dans le vide, peut manger des secondes intentions») marque très bien la transition.La figure incohérente disparaît et le mot reste, pour nommer l’impossible. Idée fausse, vaine imagination, est la définition de la Chimère que donne maintenant le dictionnaire.
   
Jorge Luis BORGES
Margarita GUERRERO
Manuel de zoologie fantastique,
Traduit de l’espagnol par Gonzalo Estrada et Yves Péneau
Christian Bourgois Éditeur 1957,
1965 pour la traduction française,
1980, p151
   
   
   
illustration : Gustave Moreau, La Chimère, dessin, musée Gustave Moreau, Paris

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